Sils Maria d'Olivier Assayas : le mystère du Serpent de Maloja
Sils Maria d'Olivier Assayas : le mystère du Serpent de Maloja
Parmi les inspirations du film d'Olivier Assayas, "Sils Maria", il y a un mystérieux phénomène météorologique qui ne cesse de fasciner artistes et spécialistes. Décryptage du serpent de Maloja.
L’histoire de Sils Maria, petit village des Alpes planté à 1800 mètres d’altitude, est traversée à divers époques par des grandes figures d’artistes et penseurs européens. Hermann Hesse y a trouvé son inspiration, Nietzsche y a posé ses valises pendant sept étés, entre 1851 et 1888, y écrivant une partie de son livre Ainsi Parlait Zarathoustra, suivi plus tard par une floppée d’auteurs majeurs, Thomas Mann, Kurt Tucholsky, Max Frisch, Stefan Zweig, ou encore Paul Celan. Ils avaient tous leurs habitudes au Grand Hôtel «Waldhaus», un superbe navire Belle Epoque perché à flanc de montagne. Plus tard encore, le village a été visité par d’autres artistes, cinéastes, plasticiens, tels que Chagall, Luchino Visconti, Max Reinhardt, ou l’icône David Bowie, qui tous ont participé au prestige de ce bout de terre suisse.
Mais la principale attraction de Sils Maria est ailleurs : c’est une trainée de nuage mystérieuse, qui résiste à toutes les interprétations scientifiques et suscite les passions depuis près d’un siècle. On l’appelle le Serpent de Maloja, un étirement de nuages bas qui peut s'observer chaque année durant l'automne, et qui s’allonge de Sils Maria jusqu’à la commune suisse de Silvaplana, et parfois même jusqu’à St Moritz.
Encore aujourd’hui, les divers spécialistes qui se sont penchés sur la question peinent à expliquer l’origine et les conséquences de ce serpent nuageux, qui produit des vents de nuit à courant descendant mais s’observant en plein jour – les fameux vents de l’Engadine. Chaque année, à la même saison, le village voit débarquer des nuées d’esthètes plus ou moins mystiques, qui veulent assister à la formation du nuage, observer à leur tour ce Serpent de Maloja dont personne n’a percé le «secret».
En 2014, Olivier Assayas écrivait ceci à propos de sa découverte du Serpent de Maloja, et de la manière dont il avait pu inspirer le scénario de Sils Maria :
"Très tôt j’ai pensé aux nuages, au ciel au-dessus de la vallée de l’Engadine, à ce qu’un paysage à la fois intimidant et si humain a d’immuable et en même temps de mouvant. Il est étrangement inscrit dans le temps, témoin des êtres qui l’ont parcouru, qui s’y sont fondus, à toutes les époques. Et qui firent l’expérience de ces vertiges"
Un film-pionnier tourné à Sils Maria
Le Serpent de Maloja apparaît à divers endroits du film d'Olivier Assayas. C’est le titre (Maloja Snake) de la pièce de théâtre incarnée par le personnage de Juliette Binoche à deux âges de sa vie, et écrit par le dramaturge Wilhelm Melchior. Mais ce sont aussi des images, des archives en noir et blanc, extraites d’un somptueux film de 1924, Le Phénomène Nuageux de Maloja, qui scandent le montage final du film d’Olivier Assayas.
Ce court documentaire, lui aussi auréolé de mystère, dont le négatif original durait 14mn 30, n’est plus connu que sous la forme de deux copies nitrate identiques, conservées l’une en Autriche, l’autre en Suisse, d’une durée de 9 minutes. Il a été réalisé par l’allemand Arnold Franck, alpiniste, docteur en géologie et inventeur du film de montagne, tombé en disgrâce à la fin de la seconde guerre mondiale pour avoir tourné des films de propagande.
La découverte de ce film fut très marquante pour Olivier Assayas. Il écrivait ceci au moment de lancer le tournage de Sils Maria : "En 1924, à l’aube du cinéma, Arnold Fanck, l’un des pionniers de la photographie alpine, a filmé l’étrange Phénomène nuageux de Maloja où se mêlent les cimes, les nuages et le vent, dans une abstraction qui évoque la peinture classique chinoise. Il l’a fait en noir et blanc et on ne le connaît plus aujourd’hui que d’après une copie usée, rayée, en somme un souvenir de ce qu’il a pu être, et sur lequel à son tour s’est inscrit le temps. Il est troublant, néanmoins, d’y ressentir une vérité intime, mystérieuse de ces lieux, malgré, ou grâce aux filtres qui nous en séparent ; ils s’y révèlent à travers une subjectivité éloignée de nous de près d’un siècle. N’est-ce pas exactement le processus de l’art qui reproduit le monde mais par un regard singulier qui soustrait autant qu’il révèle, mettant à jour le visible et l’invisible, indifféremment ?"