La playlist french-touch de Mia Hansen-Løve
La playlist french-touch de Mia Hansen-Løve
Dans "Eden", Mia Hansen-Løve raconte l'émergence d'une génération de DJ et musiciens réunis sous le blason devenu culte de la "French Touch". En cinq morceaux commentés, la réalisatrice nous fait visiter sa playlist et ses souvenirs personnels de ce moment-clé de la musique française.
"Sueño Latino" de Sueño Latino, remixé par Derrick May
«J’avais 13 ans quand mon frère aîné (20 ans) faisait ses débuts comme DJ et m’a donné une compilation House, avec notamment Sueno Latino. Je l’écoutais en allant au lycée. J’ai donc pris goût à la musique électronique en marchant dans la rue, le matin, avant de commencer à pouvoir sortir en boîte. C’est peut-être pour cela que j'associe ce morceau au jour qui se lève. Mais cela tient aussi à son instrumentation, sa douceur, son rythme double - lent et rapide-, son style à la fois vif et éthéré qui évoque l’horizon, le début d'une histoire. Si nous avons choisi d’utiliser Sueno Latino dans une scène d'ouverture, c’est aussi parce qu’il fait le lien entre la techno (auquel il se rattache), les raves, où tout a débuté, et le Garage qui sera la passion du héros d’Eden. Le Garage : une variante disco de la House caractérisée par l’importance donnée à la voix, mais aussi par une énergie, une foi parfois teintée d’une mélancolie que l’on ressent ici de façon subliminale».
"To be in love", des Masters at Work
«Un des morceaux de Garage qui a le plus marqué le public. Il est le fruit de l’histoire d’amour entre la chanteuse portoricaine La India et Little Louie Vega (Masters at Work) mariés alors, divorcés depuis. Ce morceau ne pouvait pas passer dans un club sans que toute la salle ne se mette à chanter les paroles…C’était un sujet de débat. Pour certains, chef d’œuvre incontestable, pour d’autres, lourdingue. "To Be in Love" est une chanson d’amour certes kitsch, mais non dénuée de malice. En tout cas la voix de La India est puissante et le morceau s'impose par sa simple évidence. Dans Eden, La India interpréte son propre rôle.»
Un des morceaux de Garage qui a le plus marqué le public. Il ne pouvait pas passer dans un club sans que toute la salle ne se mette à chanter…
"Whistle Song" de Frankie Knuckles
«Dj, producteur, proche de Larry Levan et ancien résident du Warehouse qui a donné son nom au genre, Frankie Knuckles est considéré comme le « Godfather» de la House, ou son inventeur. Lors d’un voyage de repérages mi-février, nous avons voulu aller l’écouter, Sven, mon producteur et moi : le hasard faisait qu'exceptionnellement il mixait dans un club underground de Brooklyn. Mais manque de chance, c'est le jour où une tempête de neige s'est abattue sur la ville : interdiction de sortir pendant 24 heures. Et les New-Yorkais, après l'ouragan d'octobre 2012, prennent les consignes très au sérieux. J’avoue que, parisiens têtus que nous sommes, nous avons envisagé de braver les éléments mais le set a été annulé. Cette mésaventure n'ôte rien à l’aura de Frankie Knuckles…Ce morceau de house, avec sa flûte traversière cristalline, son refrain ultra-léger, est pour moi l'un des plus gracieux et des plus évidents, peut-être des plus universels. Il y a là une innocence et une tranquillité dont le charme irrésistible pourrait se résumer en un mot : plénitude. Si je devais choisir un morceau pour définir la musique d'Eden, ce serait celui-ci».
"1999" de Cassius
«On cherchait, pour une scène au Queen en 2001, un morceau qui incarnerait la French Touch. C'était entre Music Sounds Better with You et 1999… Mais j'ai trop écouté Music Sounds Better with You – overdose. Réécouter 1999 pour Eden m’a brutalement replongé dans les années Respect, les nuits d'été au Queen bondé, les retours à pied dans un Paris désert, une certaine dolce vita des années 90-2000. Moment d'insouciance pour ma génération et qui s’est, à l'évidence, achevé pour tout le monde le 11 septembre 2001. Deux ans avant, on allait encore au Queen sans trop se demander ce qu’on ferait plus tard mais avec la conscience d’être témoins d’un moment unique où s’affirmait une culture nouvelle, une musique qui incarnait l’énergie et la modernité de son époque».
"Within" des Daft Punk
«J’ai lu que leurs morceaux allient «euphorie et mélancolie». Je ne pourrais mieux définir ce qui me séduit dans leur musique, et résume une époque. Bon, ici, la mélancolie est plus perceptible que l’euphorie, mais c’est justement ce qui me touche, et s'impose pour l'une des séquences finales d'Eden. Outre que le morceau soit très émouvant, dans sa tristesse et sa fragilité, les paroles de Within résonnent avec l’histoire de mon personnage : " I am lost I can't even remember my name / I've been for sometime / looking for someone / I need to know now / Please tell me who I am." Avec ce nouvel album, les Daft Punk, qui ont incarné la musique électronique, reviennent à l'analogique : c'est la fin d'un cycle, celui dont Eden raconte l'aurore».